Souvent associé aux Yakusa, le tatouage au Japon n’est pas aussi bien perçu qu’en Occident. Alors que les Européens et les Américains exhibent leurs tatoos avec fierté 💪, les Japonais, eux, préfèrent les cacher. Pourtant, cet art japonais ancestral est particulièrement ancré dans l’histoire du pays du Soleil Levant.
Apparu dès la préhistoire, le tatouage était associé à des rituels dans les premières civilisations nippones. Il servait alors de symbole d’appartenance sociale, de protection spirituelle ou encore d’ornement. Plus tard, il est utilisé pour identifier les criminels avant de devenir la marque de fabrique des yakusa 💣. Bien que cet art soit un sujet sensible sur l’archipel, les tatoueurs japonais sont particulièrement réputés pour leur talent dans le monde entier. Des premiers peuples aux temps modernes en passant par l’ère Edo, découvrez comment le tatouage a définitivement marqué l’histoire du Japon.
Les origines du tatouage au Japon
La pratique du tatouage remonte à la Préhistoire comme peuvent l’attester les statuettes en argile ornées de symboles tribaux, retrouvées dans des tombeaux de l’époque Jomon.
Les Aïnous, tribu aborigène de chasseurs, pêcheurs et cueilleurs se tatouaient en guise de protection spirituelle, mais aussi pour montrer leur rang social ou pour s’embellir. Ainsi, les femmes se faisaient graver des symboles sur les bras et autour des lèvres dès la puberté et jusqu’au mariage, selon les rites traditionnels.
Tribu Aïnou et tatouages traditionnels.
Les hommes quant à eux, étaient tatoués sur le visage et le corps pour afficher leur appartenance à un clan ou à un type de métier.
Dans certaines îles du sud du Japon, les femmes indiquaient qu’elles étaient mariées en se tatouant les mains, dans un but à la fois religieux et social.
Un art ancestral mal-aimé
Les récits sur les Aïnous relatés par les chroniqueurs chinois rapportent une perception négative du tatouage. Ces rites de passage sont mal compris et considérés comme une pratique barbare. Par conséquent, l’arrivée du bouddhisme et de l’influence chinoise au Japon nuisent à l’image de cet art traditionnel devenu tabou 🤐. Ainsi, les prisonniers sont marqués de symboles sur le bras ou le front, en guise de châtiment jusqu’en 1870. En parallèle, les Japonais se détournent du tatouage pour se consacrer à la mode du vêtement et du parfum.
L’essor du tatouage à l’ère Edo
A l’ère Edo, le tatouage connaît un fort développement et une certaine codification apparaît. Ainsi, l’on distingue le tatouage d’honneur qui flatte les héros du tatouage de prisonnier destiné aux bandits. Toutefois, le tatouage japonais continue d‘essuyer une mauvaise réputation. En effet, le nombre de criminels est en forte augmentation dans les grandes villes. Ces derniers camouflent leurs marques indélébiles de prisonniers sous de nouveaux motifs plus étendus. De même, les prostituées et les geishas de bas rang se font tatouer le corps dans un but esthétique, ce qui a pour effet d’accentuer la connotation négative de cet art japonais.
Guerriers japonais tatoués dans les années 1870 (photographies colorisées).
Paradoxalement, on assiste à l’émergence d’une nouvelle tendance où le tatouage est à la fois décoratif et symbolique. Le roman illustré de Shui hu zhuan ("Au bord de l’eau"), dont les héros sont des guerriers intégralement tatoués est un véritable succès au Japon. A noter que les chevaliers de rue connus pour leurs tatouages et leur bravoure étaient eux aussi admirés à l’époque Edo. Le corps recouvert d’élégants motifs devient un modèle de virilité et de courage inspirant l’art et la littérature nippone.
D’autre part, les artistes Ukyo-e et le théâtre Kabuki participent fortement à l’effervescence du tatouage dans l’archipel. Ainsi l’on pouvait voir des gravures de dragon, de tigre, de carpe koï, serpent et autres créatures de la mythologie japonaise sur de nombreuses estampes. La popularité de l’Ukyo-e combinée à l’amélioration des techniques de gravure donne un nouvel élan au tatouage traditionnel japonais.
Ce dernier se répand particulièrement dans plusieurs corps de métier, notamment chez les pompiers, les coursiers et dans le secteur de la construction. D’ailleurs, saviez-vous que certains ouvriers japonais avaient l’habitude de travailler sans vêtements ? 😳
C’était le cas des tobis ; des travailleurs de haute voltige, très appréciés des habitants du Japon. Ces ouvriers se faisaient souvent graver d’imposants dragons pour habiller leur corps et se protéger du danger. De la popularité du tatouage au développement des motifs naquit un nouveau métier : celui d’artiste-tatoueur ou horishi au Japon.
Tatouage au Japon, le fruit défendu
Avec l’ouverture du Japon sur le monde, le gouvernement Meiji, soucieux de l’image qu’il donne aux Occidentaux, décide d’interdire la pratique du tatouage en 1872. C’est alors que les dessins sont camouflés par les vêtements et les coutumes pratiquées chez les aïnous et dans certaines régions sont proscrites. Les tatoueurs opèrent dans l’ombre, près des ports où ils reçoivent les marins clandestinement ⚓, tout en se couvrant d’un autre métier. Toutefois, le tattoo japonais, réputé pour son raffinement, séduit les personnalités royales aux 4 coins du monde telles que le Prince Georges ou le Tsar Nicolas II.
Pendant l’occupation américaine qui suivit la Seconde Guerre mondiale, la pratique est à nouveau légalisée, cependant, l’image du tatouage reste sombre, car il est associé aux classes basses et aux yakuzas.
Le tatouage chez les Yakuzas
Si le tatouage connaît un regain de popularité à l’après-guerre et pendant les années 70-80, il reste une pratique courante au sein de la mafia japonaise. Une tradition reprise à leurs pères, les bakutos, qui se marquaient les bras de cercles pour symboliser chaque crime commis. Une manière d’imposer la crainte autour de soi.
Le tatouage chez les Yakusa.
Au 19e siècle, les yakuza s’emparent définitivement du tatouage comme signe distinctif du crime organisé. Les motifs encrés servaient de rites d’initiation pour prouver l’engagement des membres et l’appartenance à un clan. Les yakuza voyaient dans cette pratique artistique, un moyen d’exprimer leur courage et leurs valeurs tout en se marginalisant de la société.
Les tatouages des yakuza, appelés Irezumi, recouvraient une large surface du corps voire son intégralité : le dos, le torse les bras, les fesses et les jambes.
Signification des tatouages
Parmi les motifs les plus populaires du yakuza, on peut citer :
- 🐲 le dragon ou le lion, symboles de protection face au danger
- 🐅 le tigre qui exprime la force et la longévité
- 🐟 la carpe koï, symbole de chance et de persévérance
- 🦅 le phœnix qui désigne la gloire et l’immortalité
- 🐍 le serpent évocateur de puissance et de santé
- 🗡 le samouraï qui représente l’honneur et la loyauté
- 🌸 la fleur de cerisier qui évoque la fragilité de la vie éphémère
- 💀 la tête de mort, les démons, la pivoine, le lotus et autres illustrations issues des légendes asiatiques.
Aujourd’hui, les yakuza privilégient davantage les motifs discrets de type tribal ou américain au style japonais. Si le tatouage fait partie de leur culture, cette pratique tend à diminuer car ils cherchent d’avantage à se fondre dans la masse.
Le métier de tatoueur et l’art de l’Irezumi
L’apprenti tatoueur est formé par un maître qui exerce sous un patronyme auquel il ajoute le mot hori (graver). Il manipule les outils, prépare les encres et s’entraîne à dessiner les motifs de son mentor durant de nombreuses années avant de pouvoir tatouer les clients à son tour. Par ailleurs, il observe et apprend les différentes techniques traditionnelles. Lorsqu’il est prêt à exercer, il reçoit officiellement un nom de tatoueur dérivé de celui de son maître.
Tatouage irezumi réalisé à l'aide d'un tébori.
C’est un métier difficile à pratiquer au Japon tant la réglementation est floue. L’art du tatouage est dévalorisé sur ses propres terres. De plus, les autorités japonaises lui font régulièrement la peau. Depuis quelques années, les interpellations dans les salons de tatouages se multiplient en invoquant la loi 2001 qui stipule que seuls les médecins ont le droit d‘injecter de l’encre sous l’épiderme. C’est pourquoi de nombreux tatoueurs japonais exercent leur art de manière clandestine ou s’installent à l’étranger.
Technique traditionnelle de l’Irezumi
L’Irezumi est le style de tatouage traditionnel japonais qui consiste à recouvrir une large partie du corps ou parfois le corps en entier. Les dessins s’arrêtent au poignet et à la cheville pour être facilement dissimulés par des vêtements, comme ceux des yakusa.
Ce type de tatouage est très long à réaliser et douloureux. L’artiste utilise le tébori, un outil constitué d’un bâton de bambou muni d’aiguilles à son extrémité. Ces dernières sont imprégnées de Nara noir, une encre aux pigments bleu-vert. Le tatoueur insère l’encre en piquant sous la peau point par point, de manière répétitive.
Il existe plusieurs formes d’Irezumi en fonction de la zone tatouée, ainsi on peut opter pour un tatouage intégral ou plus localisé comme un « dos de tortue » un « buste fendu » ou simplement une « manchette » qui s’étend sur l’avant-bras. Aujourd’hui, avec les risques de contamination, les matériaux se sont modernisés pour des questions sanitaires, mais les méthodes restent intactes.
Si vous avez envie de vous faire tatouer un Irezumi traditionnel, sachez que cela vous coûtera un bras 💪. Un tatouage intégral peut valoir jusqu’à 30 000 euros 💰. Il faut aussi avoir beaucoup de temps puisque certains motifs prennent plus de 5 ans à réaliser. Pour les plus pressés, vous pouvez choisir la technique du dermographe beaucoup plus rapide, mais moins précise pour les dégradés.
En général, le tatoueur trace d’abord les contours à la machine avant de remplir au tébori sur de nombreuses séances. Les motifs quant à eux sont toujours les mêmes qu’à l’époque Edo. C’est à dire des créatures issues de la mythologie asiatique pour la plupart, entourées d’éléments naturels tels que l’eau, le feu, la faune et la flore. Les jeux d’ombres et de lumières sont particulièrement marqués. La pratique de l’Irezumi est extrêmement codifiée que ce soit au niveau des formats, des couleurs et des techniques utilisées. Aussi, l’artiste-tatoueur a pour habitude de signer son œuvre.
Le rapport au tatouage dans le Japon actuel
S’il fait partie de son histoire, Le Japon n’a pas vraiment le tatouage dans la peau. Toutefois, la vision moderne tend à évoluer. En règle générale, les petits tatouages discrets sont acceptés et sont même jugés plutôt cool 👍 aux yeux des jeunes Japonais. Les motifs de prédilection sont les formes tribales et les tatouages occidentaux.
En revanche, les stigmates des gros tatouages ont la peau dure. La forme Irezumi qui recouvre une grande partie du corps a tendance à effrayer toutes les générations, d’autant plus s’il sont portés par des Japonais. Le tatouage est donc toujours corrélé à la pègre et aux yakusa. A noter que certains bains publics, salles de sport et onsen excluent encore les personnes tatouées. Aussi, il faut savoir qu’avoir un tatouage est mal vu dans le milieu du travail. Heureusement, les mentalités évoluent et l’art de l’encrage semble de plus en plus accepté dans les grandes villes.
Exemples de panneaux d'interdiction aux personnes tatouées dans certains lieux publics.
Si le tatouage n’est pas encore totalement reconnu à sa juste valeur au Japon, il est considéré comme une véritable œuvre d’art dans le reste du monde. Ainsi, de nombreux Occidentaux se font tatouer dans l’archipel. Quant aux Japonais, on espère qu’ils prendront conscience de ce trésor caché afin de perpétuer l’art traditionnel de l’Irezumi.