Si vous vous êtes sensibles aux légendes japonaises et à l'univers des yōkai, vous avez sans doute déjà entendu parler du démon Hannya. Et si ce n’est pas le cas, vous avez surement déjà aperçu son visage quelque part, sur un tableau, dans un film ou un manga.
Hannya (般若の面 en japonais) est le fantôme d'une jeune femme, revenue d'entre les morts pour assouvir son désir de vengeance. Son visage si particulier, véritable masque de souffrance, apparaît souvent dans la fiction ou sur les tatouages japonais.
Mais d’où peuvent venir sa colère et sa jalousie ? Qu’est ce qui se cache derrière son histoire ? Que représente-t-elle et quelle est sa symbolique dans l’art du tatouage ? 🧐
Découvrez sans plus attendre l’histoire de ce démon japonais hors du commun qui inspire les artistes. 👇
👹 Histoire et légende du démon Hannya
Illustration de Jiaxian Jan
Hannya, est un yōkai de la famille des Oni ; vous savez, les démons qui ressemblent à des ogres et qui sont honorés au Setsubun, un festival réputé à Tokyo. Elle incarne la jalousie et la colère que l’on peut retrouver dans les crimes passionnels et qui sont des émotions tout à fait humaines.
Il y a fort longtemps, Hannya était une femme ordinaire. Elle avait de beaux yeux et un teint de velours. Par ailleurs, son nom signifie "la sagesse" en sanscrit, signe d’une âme pure. Profondément blessée par l’homme qu’elle aimait, elle s’empare d’une rage sans pareil. Petit à petit, rongée par la jalousie et au bord de la folie, son esprit se perd dans les ténèbres et elle se transforme en démon. 👿 |
Depuis, maléfique et dangereuse, la créature s’attaque la plupart du temps aux hommes pour assouvir sa vengeance.
Illustrations de Matthew Meyer : Lady Rokujo (Hannya Namanari) / Hannya Chunari / Kiyo Hime (Hannya Honnari)
Il existe trois types de démon Hannya, en fonction du degré de jalousie et de colère qui l'habite :
- Hannya Namanari : ce premier type de démon est le plus faible et possède encore l'apparence humaine à l'exception de deux petites cornes. Ce yōkai utilise la magie noire pour assouvir sa vengeance. Bien que mauvais, il a encore la possibilité de retrouver son humanité.
- Hannya Chunari : ce deuxième type maîtrise une magie noire plus puissante que le premier. Son visage ressemble à celui d'un démon avec de plus longues cornes et des dents pointues. A ce stade, il est encore possible de la sauver à l'aide de prières bouddhistes.
- Hannya Honnari : il s'agit du démon Hannya le plus puissant et le plus redouté. Son corps se transforme en celui d'un serpent, ses doigts sont crochus avec des griffes acérées, sa langue est fourchue et sa bouche est capable de cracher du feu. Rien que ça. 😮 Par contre, à ce stade avancé, vous aurez compris qu'on ne peut plus rien faire pour lui redonner une apparence humaine. Le niveau de jalousie de ces femmes est tel qu'elles vont rester piéger dans leur corps de démon jusqu'à la fin de leur vie.
🎭 Le masque Hannya dans les arts traditionnels
Masque de Nô de type Hannya (museedesconfluences.fr) / Noh Aoi no Ue © Yoshihiro Maejima
Hannya est très célèbre grâce au théâtre Nô, ou elle est fortement représentée. Son apparition est fréquente dans les pièces d’art dramatique et son nom fait même référence à un type de masque spécifique.
ℹ️ Point Culture : Les masques de Nô sont conçus en bois de cyprès, enduits de peinture puis recouverts de laque. Ils ont la particularité de refléter la lumière, créant ainsi des nuances d’expression infinies. Ces objets d’art sont en général plus petits que le visage de l’acteur auquel ils sont attachés derrière la tête par des rubans. |
Le masque d’Hannya est très reconnaissable : on l’identifie à sa mâchoire carrée et sa grande bouche ouverte empreinte d’un sourire triste et effrayant. Son regard exprime la douleur et la rage qui la caractérisent. Comme tous les Oni, elle possède deux cornes, et des cheveux noirs hirsutes et plats qui traduisent sa folie. Il est difficile de croire que son apparence représente une femme tant son visage est masculin.
Le masque se décline en plusieurs couleurs qui évoquent des intentions différentes : le blanc en signe de distinction aristocratique, le rouge pour la jalousie, le vert pour la colère, le sombre pour exprimer l’obscurité démoniaque.
Au théâtre Nô, les acteurs en costume jouent avec l’inclinaison du masque pour exprimer des facettes différentes du personnage et faire transparaître la dualité de son expression. Vers le bas, le visage semble accablé de tristesse alors que, face au public, le masque dégage une émotion courroucée terrorisante.
Le personnage d’Hannya n’est pas clairement défini au théâtre Nô, il est fréquemment utilisé pour représenter une jeune femme en colère, blessée ou jalouse, sombrant dans la folie jusqu’à en devenir démoniaque ; soit à cause d’un amour non partagé, soit parce qu’elle a été bafouée par l’homme qu’elle aimait. 💔
On la retrouve notamment dans l'histoire d’Anchin et Kiyo Hime qui raconte l’histoire d’une passion impossible et destructrice entre un prêtre et une femme, ainsi que dans la pièce Aoi no Ue qui fait référence à son esprit maléfique.
Par ailleurs, le démon a aussi trouvé sa place dans la littérature japonaise avec une spéciale dédicace dans le Dit du Genji, ouvrage littéraire culte au Japon.
🎬 Le démon Hannya dans la fiction
Personnage Hannya dans le manga Kenshin le Vagabond / Film Onibaba (1964)
Si le masque d’Hannya est très populaire au théâtre Nô, on le retrouve également dans les manga et les films japonais. Vous avez peut-être déjà croisé son chemin dans les bandes dessinées et dessins animés. Par exemple, l’auteur Nobuhiro Watsuki fait référence à Hannya dans son manga Kenshin le Vagabond. Dans le film Onibaba de Kaneto Shindo, le masque du démon fait également son apparition, symbole de vengeance.
Toutes ces allusions et représentations ont largement contribué à la popularité d’Hannya.
🔎 Signification du tatouage Hannya
@alex_gallo_j.tattoo / @garthbneale / @eviltwinsjohan
Pour les tatoués, le visage d’Hannya exprime la vengeance, la passion destructrice ou la dualité entre la rage et la tristesse. De même, en fonction des couleurs utilisées, il symbolise plutôt la jalousie ou la colère. Le tatouage d’Hannya pourrait donc être une façon d’exorciser la violence de ses émotions.
D’autre part, les Oni sont utilisés comme talismans pour écarter les mauvais esprits et porter chance. Bien qu’Hannya soit un démon maléfique, il défendrait celui qui le porte. Ainsi, la représentation d’Hannya dans les tatouages peut aussi être un symbole de protection, surtout lorsqu’il est associé à d’autres éléments.
Hannya, un Oni qui fascine toujours autant
Très populaire dans le folklore et dans la culture nippone, le démon Hannya est empreint d’une symbolique forte qui nourrit l’imaginaire de nombreux créatifs, que ce soit au théâtre, dans la fiction ou dans l’art du tatouage. Cette créature fait partie de la sous-famille des yurei, ces spectres vengeurs qui reviennent hanter les vivants.
Signe de chance ou de vengeance, ce fantôme n’a pas fini de faire parler de lui !
Son visage, représenté la plupart du temps sous forme d'un masque, est très apprécié dans le monde du streetwear. On peut dire aussi qu'un tel démon impose le respect !